Invité à pénétrer dans la fabrique et la matérialité de l’enquête historique à partir des fonds d’archives judiciaires, diplomatiques et policières, le public sera confronté à 3 procès emblématiques de l’Etat pacificateur: sorcellerie (1652), libelle (1771) et condamnation à mort (1862).
Photo : Abraham Bosse (1604-1676), Frontispice du Leviathan (Thomas Hobbes, 1651). Détail.
En écho à la Table ronde sur cette même thématique, l’Atelier est de nature plus pédagogique et méthodologique : le public est invité à pénétrer dans la fabrique et la matérialité de l’enquête historique à partir des fonds d’archives judiciaires, diplomatiques et policières. Les intervenantEs présenteront trois procès emblématiques de l’État pacificateur : la condamnation de la dernière « sorcière », Michée Chauderon, pendue puis brûlée à Genève (1652) ; l’affaire du libelle « abominable et scandaleux » du Gazetier cuirassé ou Anecdotes scandaleuses de la cour de France (1771), flétri par le bourreau et détruit discrètement par les magistrats ; enfin, la condamnation à mort de Maurice Elcy (1862) dans une cité sous tension où circulent brochures abolitionnistes et progressistes.
L’Etat pacificateur entre ordre public et paix civile : diplomatie, justice et police (XVIe-XIXe siècles). En Europe, dès l’aube du XVIe siècle, l’affirmation de la souveraineté étatique est intimement liée à la prétention pacificatrice du pouvoir souverain. Dans son incarnation absolutiste (monarque de droit divin) ou républicaine (corps de citoyens que des magistrats représentent), le souverain monopolise les droits régaliens qu’il exerce dans le cadre des lois fondamentales de l’État : lois, justice, monnaie, impôt, guerre puis police. Dans le ressort souverain, unifié par l’application juridique et institutionnelle des regalia, la gouvernance des individus des villes et des campagnes, à l’échelle communautaire et territoriale, vise les impératifs de l’ordre public et de la paix civile qui définissent le vivre ensemble en conformité avec les hiérarchies entre les corps, les rangs et les groupes sociaux.
Par exemple : depuis la du Moyen Age, le fin monopole pénal de la justice d’État, qui contraint les magistrats du siège à poursuivre le crime pour en punir l’auteur, contribue à pacifier et réguler les relations sociales en mettant hors la loi la vengeance privée. Sur les terrains des conflits armés entre souverains et États, le droit des gens vise la régulation de la guerre, le règlement des contentieux confessionnaux, territoriaux ou dynastiques et la pacification des rapports interétatiques. Dans les villes, les appareils de police se développent de manière à discipliner les comportements individuels tout en cherchant à assurer la tranquillité publique via des dispositifs de gouvernance urbaine (voirie, santé, approvisionnement, marchés).
Si les champs sociaux et litigieux où agit l’État pacificateur sont nombreux, il conviendrait d’insister sur les mécanismes par lesquels se réalise (ou cherche à se réaliser) la pacification sociale, sur les relations de gouvernement et sur leurs effets. Il s’agira d’aborder moins les fonctions de l’État pacificateur que d’insister sur les dynamiques sociales à partir desquelles il s’exprime et auxquelles il se confronte, de signaler les tensions, les oppositions ou les adhésions qu’il suscite dans l’espace social qu’il vise à pacifier. Notre perspective historiographique croisera de manière critique la démarche éliassienne du processus de civilisation (histoire des idées), l’approche foucaldienne de la gouvernance des individus comme sujets de l’État (histoire des concepts) et l’approche empirique de la mesure des pratiques autour de cas emblématiques Il s’agira ici de penser la culture politique de la modernité étatique dans le prisme de la fabrication de la paix sociale.
Avec l’Atelier, le public aura l’occasion de prendre bonne mesure des sources de l’État pacificateur comme fonds documentaires de la fabrication des savoirs institutionnels indispensables à la gouvernance des individus – mais impératif aussi de la fabrication de l’ethos des sciences et des savoirs historiques.
Michel Porret, Lucie Buttex, Fabrice Brandli, Loraine Chappuis, Vincent Fontana, Ludovic Maugué